photo Pierrô
Prière en forme d’hiver
Éreintantes dernières années
à bout de souffle
respirer
le parfum sucré des sapins
la résine collée sur les doigts
oindre le front et en conserver l’odeur plus longtemps
la neige craque sous les pas
étonne l’air sec
l’or orangé du soleil
bruissant dans la rivière
prêt-à-porter rose sur les joues froides
le cœur chaud bat sous le manteau de laine
fruits rouges gelés du cormier
permission de voler
trois mésanges dans le bouleau sautillent
à cette heure inclinée du jour
bavures éclaboussantes
sur une ligne d’horizon
débordent
rires fracassant l’espace cristallin
petites cascades
ne pas être dupe du temps
l’éponge de la nuit suinte son encre
l’épaisseur du fleuve et du ciel changeante
Rituel des confidences chuchotées
pour la nouvelle année
médecine lunaire
luciole à chaque seconde
moins de maltraitance
plus de bienveillance
Constance Céline Brousseau
25 décembre 2021
Poème : Route-du-Fleuve
Pendant les instants qui suivront
laissons le fleuve agir
et les îles Pèlerins peser de tout leur souveraineté
dans l'eau puissante
Les montagnes Laurentiennes
glissent soigneusement leur rondeur ancienne
Le quartz rose du gros Pélerin
allume son flanc rocheux sous le soleil levant tel un phare du matin
N'avoir que ses lobes d'oreilles pour voler
et entendre l'étreinte des contours de l'île
clameur de l'écume
Le ciel par dessus le toit
Petits nuages déposés
leur transparence soufflée
deux goélands à manteau noir les traversent aisément
Arrive de l'autre rive
une coulée métallique huileuse gris-océanique
sculptée en roulis incessant
ces vagues lentes à bout de souffle sur la grève
De hautes herbes salées d'émeraude pointent
Léger fracas sonore d'éclats verts en bordure asphaltée
Il fait trop tôt
La tessiture du silence est encore seule sur la route
Laissons agir le fleuve
Avant l'arrivée des passants (qui passent)
Entièrement les feuilles du bouleau à l'avant-plan frémissent
Tout est parfait maintenant
Suzie Leblanc
Chante le Gloria d'Handel
Conscience tranquille et esprit joyeux
Le majestueux matin du fleuve
Constance Céline
Entrevue avec Constance Céline
https://www.rumeurduloup.com/lencre-des-maux-entrevue-avec-constance-celine-brousseau/
Constance dans cet interview décrit son atelier d'écriture « Écrire pour se sentir plus vivant ». Un atelier de découverte des mots et des phrases qui veulent prendre la parole en accordant une importance à une nouvelle exploration des cinq sens.
Elle raconte aussi comment elle procède pour actualiser le potentiel créatif de l'écrivant.
Bonne écoute!
Deux poèmes du recueil : Route du Fleuve Chemin qui marche
lucioles
gouttes de pluie
buisson frémissant
encens de la nuit pleine
suintement soyeux sur les flancs du ciel
spacieuse respiration d’avant l’Histoire
senteurs marines muettes
le bras du phare allongé désigne l’éternité à notre gauche
2.
seul le fleuve a un aussi grand lit
aimante les corps
minéraux contre minéraux
poumons dans les paumes
des mains
font et défont
le chemin d’eau
la marée basse
horloge de la disparition
le Temps
houle de l’espace
nudité sur la totalité vibrante
extrait premier du roman La Terre Promise (finaliste, concours Robert Cliche 2016)
"Oncle Wouestminster regardait peu la télévision. Pour occuper l’enfant que j’étais, ma mère me dirigea vers la bibliothèque où il y avait de vrais livres. De bibliothèque, je veux dire. Des beaux livres. Alors que j’étais mise à l’écart des adultes, les livres eux, me toléraient. Je pouvais même toucher avec mes mains. Lire viendrait plus tard. À ma grande stupéfaction, j’ai reconnu mon prénom sur le mur de livres : CÉLINE. Mais c’était moi?! J’existais dans les livres. Mon prénom détenait déjà une histoire, un héritage. On finit par me répondre. Il s’agissait de l’auteur, Louis-Ferdinand du même nom. Enfin prénom, je ne sais plus. Le titre? Le titre? … «Voyage au bout de la nuit». Mère Ireine confirma la parenté, tout en ricanant, puisque j’éprouvais souvent des difficultés à dormir la nuit. Je haussai les épaules, tout en plaignant son ignorance. Car je découvrais à l’instant mon itinéraire. Je me rendrais jusqu’au bout de la nuit. J’écrirais !? D’ailleurs mon parrain et oncle Wouestminster possédait une machine à écrire. Il m’expliqua gentiment qu’on pouvait transcrire tout ce que l’on voulait au moyen de cet instrument. J’ai pensé que je pourrais écrire avant même de l’apprendre à l’école, grâce à cet appareil sophistiqué. J’ai voulu d’abord savoir où se situait le mot «rose». Je suis demeurée un peu intriguée, ne trouvant aucune image de fleur sur le clavier. Aucun dessin sur les touches. Je me devais de connaître toutes les lettres de l’alphabet. La visite s’achevait. Intimidée devant mon parrain, maman déclara suite à ma demande répétée que je recevrais probablement une machine à écrire en cadeau. J’ai alors pu lire le contentement confortablement installé en phrase courte sur les sourires d’adultes bienveillants; désormais préoccupés par la richesse du pouvoir d’une bonne instruction. Cet accessoire métallique en cautionnerait l’achat. Il servirait ma cause.
Le saut dans l’imaginaire m’entourait d’un infranchissable rempart. Les heures récitées et chantées sur la balançoire, les danses inventées en solitaire et les nombreuses fréquentations des petites choses me permettaient de croire en une part intacte d’un univers où il faisait bon vivre. La compagnie d’un caillou ou celle d’un brin d’herbe m’apaisait. Attendre. Palper l’invisible tout autour. Savoir écrire me permettrait la liberté des paroles écrites. Celle-là, au moins."
C.C.